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4e de couverture | sommaire | extrait
pages 9-10
«Nous savons qu'il y a pire qu'une crise. C'est une crise qu'on ne comprend pas», écrivait Jean Boissonnat en 1993. Quatre ans plus tard, ce jugement est toujours d'actualité. La crise, c'est, en Occident, le mot clé de cette fin de XXe siècle. On en parle, on la vit, on l'amplifie, on la nie selon les jours...Crise économique, bien sûr, mais aussi crise du progrès avec la prise de conscience de ses conséquences écologiques et éthiques. Crise politique avec
l'effondrement du système communiste, la victoire du libéralisme et l'éclosion des micro-nationalismes. Crise du travail avec la remise en question du taylorisme mais aussi de l'entreprise... On n'en finirait pas d'énumérer la liste des crises que nous traversons et qui nous laissent désemparés. Et si nous étions victimes d'une véritable faillite de notre perception et de notre interprétation des évolutions ? Si le monde n'a plus de sens, n'est-ce pas parce que nous ne savons plus lui en donner ?
Pour le marin qui ne saurait où conduire son voilier, tous les vents paraissent défavorables ; de même, pour les sociétés déboussolées, aucun port ne semble offrir l'accueil espéré... La civilisation industrielle n'a vu les réalités humaines qu'à travers le producteur-consommateur de biens matériels. Enivré par les hausses extraordinaires de son niveau de vie durant les Trente Glorieuses, l'homme occidental a cru que le marché pouvait le dispenser de réfléchir à son destin. Il ne peut que déchanter maintenant. Les forces du marché, fussent-elles mondiales, ne mènent pas vers le bonheur ou le progrès social. Le libéralisme fut-il keynésien ou monétariste, ne dispense pas de trouver une autre voie que le soutien de la demande ou de la monnaie.
Derrière ces crises, n'y a-t-il pas un ordre qui tente d'émerger et que nous n'aurions pas compris ? Il devenait fondamental de reprendre l'analyse des situations nouvelles, d'en avoir une vision globale et de tracer d'autres voies. C'est ce que nous avons voulu faire dans ce livre....
pages 11-12
Ce que nous avons découvert va au delà de nos espérances. Une exceptionnelle mutation est en cours en Occident, initiée par le développement des technologies de l'information et de la qualité : les nouvelles « machines à vapeur ». Mutation comparable à celle qui, à la sortie du Moyen-Âge, fit naître le nouveau monde au travers de la Renaissance ; mais mutation qui, faute d'être comprise et accompagnée, génère la douloureuse crise économique et sociale, que nous vivons.
Depuis les années 70, un « autre monde » est apparu, à notre insu : celui de la créativité, des savoirs, de l'immatériel. Dans la nouvelle civilisation créative qui émerge tout en balayant deux siècles de civilisation industrielle, l'homme créateur joue à la fois le rôle du capitaliste et de l'ouvrier. Les savoirs créateurs de richesses jouent le rôle des matières premières, et l'artiste et le chercheur deviennent les métiers-symboles.
Le développement de « l'autre monde » exige de nouvelles règles économiques. Et pourtant, on continue à le piloter avec les recettes de l'ancien. Résultat : le cauchemar du chômage et de la précarité, et « l'horreur économique ». D'autres politiques sociales et une régulation économique différente sont nécessaires. Inutile de s'acharner à vouloir retrouver les taux de croissance des Trente Glorieuses de 5 à 10% ; d'encourager la consommation de biens matériels, comme les voitures, pour relancer la croissance et les créations d'emplois. Toutes les politiques économiques mises en oeuvre ici ou là en Occident -baisse des salaires du personnel peu qualifié, relance de la consommation-mènent à des impasses économiques et sociales. Il y aurait également risque d'impasse si des tentations, comme le recours au protectionnisme ou le partage du travail pour plus de loisirs se concrétisaient.
Non, la « fin du travail » n'est pas pour demain, mais la nouvelle économie exige des investissements immatériels, là où la croissance passait par des usines toujours plus vastes.
Elle a besoin de collaborateurs qualifiés, autonomes et créateurs, à la place de travailleurs peu qualifiés, interchangeables et obéissants. La nouvelle économie autorise des augmentations de salaire modérées en contrepartie de créations d'emplois et d'élévation du capital humain, là où des augmentations élevées pouvaient redynamiser l'économie. Elle est cohérente, dans une économie mondialisée, avec un niveau d'endettement faible là ou tout endettement relançait la croissance.
L'architecture de la civilisation créative, que nous avons mise à jour dans cet ouvrage, permet non seulement de comprendre les principales dimensions de la crise, mais aussi, c'est notre conviction, d'identifier les moyens de réellement la dépasser.
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