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4e de couverture | préface | sommaire
J'ai rencontré Alain Villemeur il y a cinq ans. Ce fut une rencontre très étonnante, parce que c'est un homme qui faisait carrière à l'EDF en tant que cadre dirigeant, après avoir été Chef de Centrale, et qui se passionnait pour la macroéconomie, plus précisément l'économie de la croissance de longue durée. Ce centralien s'était plongé dans de nombreux ouvrages et travaux sur le rôle du progrès technique dans l'histoire économique des pays développés et s'était senti très en accord avec les thèses d'Olivier Pastré, de Joëlle Tolédano et de moi-même, que nous développions dans « la crise du XXe siècle ». En un mot, il était proche des thèses de l'Ecole de la Régulation. Mais surtout il était convaincu comme nous que les deux derniers siècles avaient été scandés par desorganisations techniques, ce que Bertrand Gille appelle les systèmes techniques, mêlant ainsi les thèses schumpeteriennes et classiques. Voilà ce que fut notre première rencontre, des convictions communes et l'ambition de la part d'Alain Villemeur de répondre à une des plus redoutables questions de l'Economie Politique : pourquoi y a-t-il divergence des croissances des pays entre eux ? C'est là une des interrogations les plus stimulantes, extrêmement difficile à saisir parce qu'au fond, si la technologie est disponible pour tous, il n'y a donc aucune raison que son appropriation et son utilisation diffèrent, donc que les pays n'aient pas les mêmes trajectoires de croissance. Denison s'était interrogé, il y a plus de 30 ans, mais l'interrogation reprend encore plus de force au moment où elle est posée.
En effet, l'Europe stupéfaite, plongée dans une évolution médiocre, voyait les Etats-Unis bâtir un univers nouveau dont il semblait que toute contrainte et toute limite étaient désormais repoussées. C'est à ce sujet redoutable qu'Alain Villemeur va dès 1998 s'attaquer, ce qui l'amènera à soutenir quatre ans plus tard une thèse « Nouveau modèle de croissance : une explication des disparités de croissance entre les Etats-Unis et l'Europe sur la période 1980-2000 » dont cet ouvrage s'inspire largement.
Ce qui est fascinant, c'est qu'Alain Villemeur a donné une réponse à cette interrogation et même si l'on discute de sa méthode, de sa formalisation, de ses hypothèses et donc de ses résultats, Alain Villemeur fait partie de ceux qui peuvent se prévaloir d'une véritable théorie. J'ai moi-même eu de nombreuses discussions avec lui, il m'est arrivé d'avoir des doutes sur certaines de ses approches.
Je reste totalement convaincu, qu'au delà du rappel de l'émergence d'un nouvel ensemble de technologies, il a mis en lumière un point essentiel à l'heure des économies de l'information et de la connaissance : chaque pays peut puiser dans le vivier des technologies librement mais chacun ne le fait pas de manière équivalente et les Etats-Unis dans un gigantesque effort d'investissements technologiques (les TIC par exemple) et de R&D, et donc de diffusion massive de progrès technique, ont changé la donne, distancé pour longtemps l'Europe, créé les conditions d'une croissance exceptionnelle. La démonstration, tant théorique qu'empirique, de l'existence de deux régimes de croissance aux performances très contrastées l'illustre complètement.
Le diagnostic théorique est fait. Il reste maintenant aux économistes à voir comment les pays européens et singulièrement la France, peuvent revenir dans la course pour le plus grand bien de leur peuple et renouveler le miracle du rattrapage des Trente Glorieuses.
Jean-Hervé Lorenzi Professeur à l'Université de Paris IX Dauphine
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